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Économie de la contribution et gestion des biens communs

Par : ptrendel
Publié le : 1 Mar, 2021
Rubrique(s) : Imaginaire Communs
Dossier(s) thématique(s) : Biens communs | Contribution | Savoir | Territoire | Travail

Retrouvez ici la contribution intégrale de l'article "Le modèle des ateliers de capacitation" paru dans le numéro #1 d'Imaginaire Communs, la revue de recherche contributive du collectif Catalyst.

Auteurs : Clément Morlat 1, Théo Sentis 2, Olivier Landau 2, Anne Kunvari 2, Vincent Puig 2.

L’économie de la contribution 3 est un modèle fondé sur une redéfinition du rapport à la richesse, rendue nécessaire par la situation tout à fait exceptionnelle dont témoigne la notion d’Anthropocène 4. Dans ce contexte contemporain, où l’organisation de l’économie à l’échelle planétaire conduit à une série de forçages anthropiques 5 qui menacent la pérennité des équilibres biologiques et des sociétés humaines actuelles à relativement brève échéance, la richesse ne peut être entendue que comme capacité à transformer les modèles de développement qui sous-tendent cette organisation.

Être riche dans l’Anthropocène, c’est être capable de bifurquer. Or, pour Bernard Stiegler, la bifurcation est ce que produisent les savoirs, en tant qu’ils font advenir du nouveau qui enrichit le réel. Cet enrichissement lié au savoir, qu’il soit savoir-faire, savoir-vivre ou savoir concevoir et théoriser, relève pour lui d’une “valeur pratique” : créer de la richesse consiste à pratiquer collectivement un savoir dans le cadre d’une activité qui a de la valeur en ce qu’elle permet de transformer à la fois les organisations et les personnes qui les composent 6.

Ce texte propose une description détaillée du modèle d’économie de la contribution tel qu’il est développé actuellement à l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) 7, tout en explorant certaines correspondances théoriques et fonctionnelles avec l’économie des communs 8. La ligne directrice de cette tentative de mise en regard se structure autour de deux problématiques que sont la place donnée à la question du savoir et la contribution à une démarche territoriale collective.

Réunion de la "clinique contributive"

Réunion de la « clinique contributive »

Contribution

La notion de contribution à une démarche collective fait de nos jours penser aux initiatives citoyennes participatives, aux activités de l’économie sociale et solidaire, et bien sûr à la gestion des biens communs. Néanmoins, s’il participe de ces dynamiques, le modèle d’économie de la contribution est aussi une réponse à des problématiques soulevées par un autre type de contributions.

Marx écrivait dans les Grundrisse au cours des années 1857-1858 :

Une fois intégré dans le procès de production du capital, le moyen de travail passe toutefois par différentes métamorphoses, dont la dernière est la machine ou, pour mieux dire, le système automatique de la machinerie (…) ; cet automate consiste en de multiples organes, les uns mécaniques et les autres doués d’intellect, de sorte que les ouvriers eux-mêmes ne sont plus définis que comme ses membres conscients (…). A aucun égard, la machine n’apparaît comme moyen de travail de l’ouvrier individuel. La differentia specifica de la machine n’est nullement, comme dans le cas du moyen de travail, de transmettre l’activité́ de l’ouvrier à l’objet ; au contraire, cette activité́ a une position telle qu’elle ne fait que servir d’intermédiaire au travail de la machine — que surveiller l’action de celle-ci sur la matière première et lui éviter tout incident. Dans ce cas-là, les choses ne se passent pas comme dans l’emploi de l’outil que l’ouvrier — en tant qu’organe — anime de son adresse et de son activité́ et dont le maniement dépend de sa virtuosité́. La machine, qui possède adresse et force à la place de l’ouvrier, est au contraire elle-même le virtuose (…). Réduite à une simple abstraction d’activité, l’activité de l’ouvrier est déterminée et réglée de tout côté par le mouvement de la machinerie et non l’inverse 9.

A la fin du 20ème siècle, l’émergence des techniques numériques a généralisé la place de la machine dans la vie quotidienne. Ainsi s’est de nouveau posée de façon cruciale la question de la place de la machine dans la société et sa relation avec les humains – les “organes” de la machine qui sont “doués d’intellect”. Aujourd’hui, conséquence du numérique et des machines en réseau connectées en permanence à une majeure partie de la population, l’alimentation du système automatique en connaissance (intellect) s’est généralisée. Elle résulte de contributions volontaires et involontaires des êtres humains.

Un certain nombre de chercheurs dont André Gorz 10 ont alors reconsidéré la place du travail dans la société, et donc le fonctionnement de l’économie. A la suite de ces travaux et de ceux des tenants du capitalisme cognitif 11, Antonio Negri, Carlo Vercellone, Yann Moulier Boutang 12 proposent un revenu inconditionnel. Tandis que l’association Ars Industrialis 13, analysant l’aspect pharmakologique 14 des technologies numériques ainsi que d’autres problématiques liées développement de savoirs 15, a élaboré depuis les années 2013 une première approche d’une économie valorisant la contribution de façon à éviter la prolétarisation massive de la population. La prolétarisation est entendue ici, d’une manière générale, comme ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser) 16.

Cette économie de la contribution est basée sur trois principes 17. Tout d’abord, les acteurs économiques ne sont plus séparés en producteurs d’un côté et consommateurs de l’autre. Ensuite, la valeur associée aux productions des contributeurs n’est pas intégralement monétarisable. Enfin, l’économie de la contribution est une économie fondée sur le développement des savoirs 18.

Savoir et travail

Précisons ici la différence que nous faisons entre savoir et connaissance 19. La connaissance, ou plutôt le fait d’y avoir accès et de l’interpréter pour nourrir l’action collective, contribue à l’enrichissement d’un savoir partagé par ceux qui s’inscrivent dans cette action. Mais la connaissance ne favorise le savoir que lorsqu’elle est alliée à l’expérience issue d’une pratique exercée dans une interaction renouvelée avec d’autres 20. Autrement dit, nous abordons le savoir en acte, mobilisé et enrichi par un processus collectif ayant pour effet de produire de la nouveauté, relevant en cela d’une dynamique indissociable d’un groupe social, donc locale 21 et en perpétuelle évolution.

Cette question du savoir est au cœur de l’économie de la contribution. Elle est intrinsèquement liée à celle du travail. Pour Stiegler, qui revisite la notion de travail depuis la distinction que faisaient les Grecs Anciens entre ponos (le labeur) et ergon (l’ouvrage), distinction que l’on retrouve en anglais entre labor et work, le travail doit être entendu comme ergon, donc comme pratique de savoir qui crée des ouvertures, et non seulement comme ponos. C’est ce qui l’amène à proposer une distinction claire entre travail et emploi.

L’emploi, tel qu’il s’exprime majoritairement aujourd’hui à travers le cadre juridique du salariat, dont le critère de définition réside dans l’existence d’un lien de subordination entre l’employeur et le salarié, introduit une coupure dans la capacité du salarié à participer à la définition du contenu et de la finalité de l’activité qu’il exerce. Cela induit structurellement une tendance à la fermeture, donc à la standardisation de cette activité, qui peut alors dans certains cas se limiter à la répétition de tâches, protocoles, routines, pour la réalisation desquels la personne est remplaçable, par une autre personne ou par un automate – machine ou algorithme. Dans un tel cas de figure, l’activité exercée dans l’emploi est dépourvue de toute pratique de savoir au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire de toute capacité à produire de la nouveauté par l’interaction avec d’autres.

A l’inverse, le fait d’interagir et de créer, c’est-à-dire de ne pas seulement exécuter des tâches standardisées mais d’induire des bifurcations imprévisibles au sein d’une organisation ou d’un système, favorise le développement des singularités de l’individu et relève en cela d’un travail. Ce travail revêt alors une dimension d’œuvre pour l’individu et intervient dans sa réalisation personnelle, enrichissant alors ce que l’on peut désigner comme son répertoire. L’individu qui travaille est alors moins facilement remplaçable, du fait la diversité singulière de son répertoire et de son appartenance à une communauté que nous qualifions de communauté de savoir et qui n’est pas limitée – loin s’en faut – au cadre de l’emploi.

Revenu contributif

Si le travail est ainsi entendu, alors la question de la rétribution du travail se pose d’une manière nouvelle. Le modèle d’économie de la contribution n’envisage pas qu’une personne soit rémunérée forfaitairement en fonction de la quantité de temps durant lequel elle consent à être employée. L’enjeu n’est pas quantitatif. Il s’agit de créer les conditions matérielles adaptées, de façon à ce que cette personne puisse contribuer à des activités collectives au cours desquelles sont développés des savoirs qui enrichissent en premier lieu cette personne en ce qu’ils lui confèrent, dans sa relation au monde, au sein d’un groupe social.

C’est donc la qualité des interactions dans ces activités qui est recherchée. L’objectif n’est pas une montée en compétences prédéfinies mais l’acquisition de capacités non seulement individuelles mais collectives, adaptées à des problématiques locales identifiées par le groupe lors de ces activités – que nous appelons d’ailleurs et pour cette raison des activités de capacitation 22. Un « revenu contributif » est alors envisagé pour aider certains acteurs du territoire à libérer le temps nécessaire pour y participer. Ce revenu se fonde sur plusieurs logiques.

Il s’agit tout d’abord d’argumenter en faveur d’une nouvelle forme de redistribution. Dans un système productif de plus en plus outillé, voire régi, par les plateformes numériques et la robotisation, les gains monétaires induits par la hausse de productivité que permet l’automatisation et le calcul algorithmique ne profitent aux populations locales que de façon limitée. La disponibilité accrue des produits industriels et des services facilités par ces plateformes, et plus généralement le mouvement d’automatisation de la société s’accompagne d’une destruction nette du volume d’emploi 23. Tandis que la consommation de ces mêmes produits et services implique souvent au préalable un “travail” gratuit de la part des habitants des territoires (codesign et coréalisation des produits 24, services collaboratifs 25, etc.) ainsi que la mise à disposition de données personnelles et d’usage qui constituent pour les acteurs de l’économie numérique une source majeure de profit.

Quoi de plus naturel dès lors que de promouvoir un instrument économique susceptible de corriger l’iniquité provoquée par cette disruption technologique ? Puisque l’automatisation et la transformation numérique de l’économie augmentent la productivité et libèrent du temps, il pourrait être cohérent de considérer que les personnes disposant de ce temps puissent être aidées pour participer à un travail créatif et bénéfique au territoire au sein d’activités de capacitation. Un “revenu contributif” financé grâce à une partie des profits issus de cette hausse de productivité remplirait cette fonction. Cette démarche redistributive nécessiterait cependant que les pouvoirs publics soient en capacité de concrétiser leur volonté de taxer les géants du numérique, ce qui n’est pas actuellement le cas.

Le revenu contributif que nous envisageons a cependant une autre raison d’être, complémentaire à la vocation redistributive évoquée à l’instant. Il ne s’agit plus seulement de redistribuer, ce qui pourrait être fait par le biais d’autres formes de revenus décorrélés de l’emploi tel que le revenu universel. Il s’agit d’investir dans la capacité des populations locales à contribuer à la transformation de leur territoire de vie. Dans notre modèle dont nous expliciterons les détails, les activités pratiques de capacitation sont en effet étroitement liées au déploiement de projets sélectionnés en ce qu’ils contribuent à la soutenabilité sociale et écologique forte 26 du territoire, et à la solvabilité des acteurs.

Financer un revenu contributif revient ainsi à investir dans l’intelligence collective du territoire et dans sa cogestion soutenable par les différents types d’habitants qui l’animent (résidents, acteurs économiques, associations, puissance publique, etc.). Les savoirs développés lors des activités de capacitation peuvent mener à l’identification conjointe de biens communs, de modes de régulation locaux, ainsi que de synergies permettant aux acteurs une viabilité économique malgré les engagements sociaux et écologiques qu’ils assument dans un régime de coresponsabilité.

Ateliers de capacitation

Précisions ici les fonctions d’un atelier voué à accompagner le développement d’activités de capacitation. La première est de réunir différents types d’acteurs (habitants, entreprises, chercheurs, associations, collectivités, représentants des pouvoirs publics centraux, investisseurs, etc.) qui souhaitent s’engager ensemble dans une démarche locale de coordination d’activités amenant à la transformation du territoire. Ces démarches ne sont pas abstraites, mais contextualisées : un atelier de capacitation est thématique, il se fonde sur une problématique qui “parle” à tout le monde, ou du moins qui éveille un intérêt, parce que les participants peuvent la rattacher à une expérience ou à des projections locales concrètes. Le thème autour duquel se structure un atelier de capacitation peut être large ou plus ciblé. L’important est que ces ateliers se constituent autour de problématiques qui peuvent fédérer un ensemble d’acteurs autour de projets suffisamment divers, et pas uniquement venir en réponse aux préoccupations de quelques-uns.

Ensuite, il s’agit d’organiser le processus collectif qui va permettre à ces acteurs de développer ensemble des savoirs mobilisables dans leur démarche de transformation progressive du territoire. C’est bien là l’idée de la capacitation, qui vise à redonner une capacité à agir sur son environnement. Le processus collectif en œuvre dans les ateliers de capacitation repose sur le partage des connaissances, différentes, de chaque membre de l’atelier, et sur leur mobilisation par le groupe afin de donner naissance à de nouveaux savoirs, répondant à la thématique de l’atelier 27. Dans ce cadre, l’idée est de travailler à la fois sur le plan de la pratique de terrain afin de tester des hypothèses liées par exemple à de nouvelles activités qui émergent ou à des synergies entre activités existantes qui pourraient être améliorées par leurs interactions, et sur un plan d’ordre théorique pour permettre de penser rationnellement les transformations à opérer.

Ce n’est qu’alors, de par l’expérience pratique et le savoir qui en découle, qu’il devient possible pour les participants à un atelier de capacitation de préciser les enjeux spécifiques de soutenabilité sociale, écologique et économique que pose la problématique envisagée. Ceci permettra de mieux envisager les projets concrets de transformation du territoire conçus autour de cet atelier 28. Les savoirs que font grandir les activités de capacitation autour d’une problématique particulière et contextualisée sont en effet propices à l’apparition de représentations partagées localement. Cette intersubjectivité issue de l’expérience pratique collective peut être cultivée et enrichie.

Délibération

Des rencontres délibératives, autres moments contributifs essentiels d’une participation aux ateliers de capacitation – et autre dimension d’expérience collective -, viennent affiner et étendre ces représentations partagées. Ces rencontres ont, elles aussi, plusieurs fonctions.

D’une part, celle de confronter les enjeux de soutenabilité spécifiques à différents projets locaux, c’est-à-dire formulés à l’issue de plusieurs activités de capacitation portant sur des problématiques différentes. Ce travail permet d’étudier la manière dont ces enjeux spécifiques se recoupent, et ainsi d’effectuer une synthèse menant à identifier des enjeux qui ne sont plus spécifiques mais territoriaux. Préciser ensuite les qualités du territoire – non plus au regard de l’une ou l’autre des problématiques locales mais au regard de ces grands enjeux territoriaux – permet aux participants à l’atelier de capacitation de dessiner les contours de ce qui peut être considéré comme un bien commun 29. Ceci conduit à étendre le champ des représentations partagées.

D’autre part, les rencontres délibératives sont l’occasion de formuler des objectifs de cogestion de ces biens communs, de trouver les meilleures façons de réorganiser les activités locales pour atteindre ces objectifs, puis de coordonner les contributions de chacun à ces réorganisations. C’est à ce moment que la démarche de capacitation aboutit à un “atterrissage” concret, à travers la conception et la scénarisation de projets locaux empreints de la démarche territoriale de cogestion. Ceci conduit à affiner les représentations partagées.

Parallèlement, et toujours de façon délibérative, il s’agit d’actualiser le processus de développement de savoirs en l’adaptant ou le complétant par des activités de capacitation orientées vers une problématique nouvelle : celle de la cogestion des biens communs identifiés et donc de la coordination des différents projets conçus en ateliers de capacitation pour concourir à la transformation soutenable du territoire.

En d’autres termes, dans une économie de la contribution, la délibération opère conjointement la définition des objectifs stratégiques du territoire et la spécification des dimensions de l’intelligence collective permettant de les atteindre. Elle fait mûrir un imaginaire commun tout autant que des réflexions particulières à la manière dont chacun, pour transformer le territoire, pourrait transformer ses propres usages.

Analyse de la valeur

A ce titre, ce modèle contributif renouvelle la représentation économique associant valeur d’usage et valeur d’échange, pour les envisager dans un rapport étroit à la valeur pratique proposée par Stiegler. C’est dans la pratique collective d’un savoir que se transforment les regards portés sur l’usage qui est fait d’une chose, et que s’établissent ainsi des conventions sur sa valeur. Or, précisément, les transformations du territoire nourries par des ateliers de capacitation sont à la fois des transformations d’usages (les projets concrets) et des transformations de l’espace symbolique partagé (les enjeux de soutenabilité et objectifs de cogestion) au sein duquel s’effectue la reconnaissance de ce qui a de la valeur.

Un savoir, lorsqu’il est mis en pratique dans le cadre d’activités ciblées, peut engendrer des bienfaits pour les acteurs d’un territoire. C’est par exemple le cas lorsque ces activités révèlent aux acteurs qui y participent l’opportunité d’initiatives sociales et solidaires ou de synergies d’économie circulaire induisant à la fois des améliorations qualitatives pour certains et des réductions de coûts voire des gains économiques pour d’autres. Le défi est alors de faire en sorte que ces bienfaits puissent être reconnus comme tels, c’est à dire identifiés et qualifiés voire quantifiés lors des rencontres délibératives.

Ces rencontres sont un lieu de structuration de controverses et d’émergence de compromis, sans cesse renouvelés par la disponibilité de nouveaux savoirs qui permettent de ré-envisager à la fois les objectifs de cogestion, les interactions entre activités territoriales, leurs effets, et donc les jugements et arguments développés par chacun pour exprimer ce qui, selon lui, a de la valeur.

La spécificité du processus délibératif mené dans un atelier de capacitation est d’articuler plusieurs niveaux d’analyse de la valeur.

D’abord une délibération visant à évaluer les transformations et réorganisations locales autour desquelles “faire commun”. Les participants émettent alors des jugements et arguments portant sur les incidences de la démarche de cogestion des biens communs sur les grands enjeux territoriaux de soutenabilité – ce qui revient à qualifier la valeur de cette démarche du point de vue du collectif.

Ensuite une multitude de délibérations plus thématiques, spécifiques aux projets concrets issus de la capacitation et pensés pour mettre en œuvre localement la démarche de cogestion territoriale. Au cours de ces dernières, chacun se prononce sur les incidences de cette démarche du point de vue de son activité – ce qui revient à préciser ce en quoi l’atteinte des objectifs communs dans le cadre d’un projet particulier influe sur cette activité et revêt en cela des valeurs particulières pouvant être reconnues par chacune des personnes investies dans celle-ci.

A la fin de ce cycle délibératif – qui doit être envisagé comme partie d’un processus et peut donc être répété – les participants auront ainsi formulé des jugements et arguments portant d’une part sur une “valeur d’usage partagé” (ou “valeur d’usage commun”) qu’ils associent ensemble à la démarche de cogestion territoriale, et d’autre part sur des “valeurs d’usage spécifiques” attribuées par chacun aux diverses opportunités et contraintes sociales, écologiques et économiques engendrées localement par cette démarche 30.

Une forme de valeur pratique conférée au collectif par ces rencontres délibératives tient alors à une capacité nouvelle à articuler ces niveaux d’analyse de la valeur d’usage, puis à en tirer des conclusions originales en termes de valeur d’échange 31. A ce stade, cette articulation demeure cependant une articulation de représentations, qui sont partagées en délibération mais susceptibles d’être dissipées dès que les participants reviennent à leur activités et métiers particuliers dans lesquels ils sont soumis à l’influence d’autres représentations.

Coordination

Dans le modèle développé par l’IRI, c’est à un Institut de gestion de l’économie de la contribution (IGEC) territorial qu’incombe la prise en compte formelle, la conservation et la synthèse des jugements individuels et collectifs exprimés par les participants aux ateliers de capacitation au cours de ces rencontres délibératives.

Chaque situation territoriale est particulière, unique, du fait des spécificités locales et du jeu d’acteurs. Le passage entre des analyses de la valeur portant sur des projets et enjeux précis et impliquant chacune un groupe restreint, à l’analyse de la valeur d’une démarche coordonnée relevant d’une cogestion de biens communs à un niveau plus “méso”, ne peut donc pas s’effectuer en calquant d’un territoire à un autre le même cadre. Un IGEC a alors pour fonction première de produire un référentiel territorial d’analyse de la valeur retranscrivant les grands enjeux de soutenabilité identifiés lors des rencontres délibératives, ainsi que des indicateurs ad hoc qui ont servi à modéliser des scénarios décrivant les interactions entre les projets locaux conçus lors de ces mêmes rencontres.

Nous pourrions qualifier ce dispositif de “comptabilité territoriale”, ou encore de “comptabilité de cogestion des biens communs”, à la condition toutefois de préciser ce que nous entendons par comptabilité. La comptabilité a quatre grandes fonctions 32: « compter » bien sûr ; mais aussi « prendre en compte » c’est-à-dire cadrer l’information et représenter la réalité des organisations ; « rendre compte » donc déterminer à qui, et pourquoi rendre compte ; mais aussi « être comptable de » ce qui renvoie à la notion de responsabilité derrière les écritures comptables qui permettent de garder une inscription de ce qui a été fait et de générer des régimes de responsabilités particuliers.

Pour un IGEC, construire une comptabilité territoriale implique de se fonder sur les délibérations tenues au cours des ateliers de capacitation. Pour chaque projet conçu durant ces ateliers, ces délibérations déterminent ce dont il faut être comptable dans le régime local de coresponsabilité (enjeux territoriaux de soutenabilité et biens communs identifiés), et ce qu’il faut pour cela prendre en compte (objectifs de cogestion des biens communs et jugements de valeur argumentés) – c’est à dire de ce qui a de la valeur du point de vue collectif comme individuel.

La construction d’une comptabilité territoriale IGEC tient donc avant tout à une structuration qualitative des différents niveaux d’un espace de représentations partagées. Mais il s’agit bien sûr aussi de rendre compte aux acteurs des ateliers de capacitation des projections issues de la modélisation des scénarios de coordination construits en délibération.

L’imaginaire qualitatif commun s’adjoint alors de représentations quantitatives à la fois non monétaires (effets sociaux, écologiques et économiques des scénarios) et monétaires (coûts des contributions à la coordination territoriale, coûts des transformations d’usages induites par les engagements vis à vis du commun, effets sur les budgets publics, sur les échanges marchands, sur la solvabilité des acteurs, sur les investissements, etc.). Un IGEC doit donc aussi pouvoir compter, pour proposer une représentation quantitative des scénarios de cogestion à travers la comptabilité territoriale, mais aussi pour aider les acteurs du territoire à compter autrement.

Pour rendre compte à ses donneurs d’ordres et à ses partenaires des effets locaux de la démarche territoriale de cogestion, chacun doit pouvoir prendre en compte les interactions avec d’autres – ce qui est fait de manière qualitative en délibération. Mais pour que les volontés d’engagement dans cette démarche de cogestion puissent aussi être motivées par des chiffres cohérents, les acteurs du territoire doivent coordonner leurs systèmes d’information quantitatifs aussi bien qu’ils envisagent de coordonner leurs actions. Une nouvelle dimension de savoir à développer apparaît donc : il s’agit de “compter en commun” pour que les comptes de chacun soient les multiples reflets d’une même démarche de cogestion mise en lumière par la comptabilité territoriale.

La formation des enseignants lors du programme UNEJ (Urbanité numérique en jeux)

La formation des enseignants lors du programme UNEJ (Urbanité numérique en jeux)

Web contributif et délibératif

La diversité des acteurs qui participent aux ateliers de capacitation est grande (scientifiques, experts, entreprises, habitants, pouvoirs publics, professionnels, etc.). Il en va nécessairement de même de celle des théories, approches conceptuelles (scientifiques, vernaculaires, financières ou autres) qu’ils mobilisent pour fonder leurs jugements et développer leurs arguments en délibération. Par conséquent, les méthodes et outils (d’analyse, de modélisation, etc.) que chacun d’eux utilise pour compter ce qui a de la valeur du point de vue de leur activité et construire des systèmes d’information sont aussi très variées.

Un IGEC doit donc se doter d’un dispositif nouveau grâce auquel établir des passerelles non seulement entre représentations qualitatives et quantitatives, ou entre le niveau du territoire et celui des acteurs, mais aussi entre les différents systèmes d’information qu’utilise chacun d’eux au quotidien. Nous appelons ce dispositif “ContribuThèque” pour évoquer les dimensions de construction collective et de conservation de l’information. Il s’agit d’un instrument de communication entre un IGEC territorial et les rencontres délibératives des ateliers de capacitation.

A l’aide d’outils numériques contributifs, les participants aux rencontres délibératives formulent comme nous l’avons évoqué plus haut des jugements et arguments relatifs aux transformations locales qu’ils envisagent et aux opportunités et contraintes sociales, écologiques et économiques qu’elles engendrent. La ContribuThèque leur permet d’associer ces arguments et jugements à des indicateurs. Ces indicateurs, qui peuvent être qualitatifs ou quantitatifs, sont choisis par chaque participant pour décrire différents aspects de la démarche de cogestion. Chacun d’eux peut ensuite retranscrire ses jugements et arguments en sélectionnant des valeurs représentées par des codes couleur et des méta-catégories 33 qui constituent un langage commun, afin d’exprimer si de son point de vue tel aspect ou tel autre est bon pour le territoire, et pour son activité. Des forums permettent de motiver et de préciser ces jugements et arguments.

Les acteurs de l’IGEC utilisent des outils du même type pour interpréter ces indicateurs spécifiques à la délibération, construire le référentiel territorial et les indicateurs génériques IGEC de niveau plus méso, puis nourrir la modélisation des projets au moyen de scénarios territoriaux qui donneront lieu ensuite à des simulations puis à l’évaluation de l’atteinte des objectifs de cogestion des biens communs. L’approche IGEC n’est pas ici une approche normative de l’interprétation des indicateurs, jugements et arguments produits en délibération. Il ne s’agit pas de leur donner un sens sans autre légitimité que celle d’une “expertise” qui serait d’ailleurs toujours contestable. C’est bien là la plus-value de la ContribuThèque : les outils contributifs mobilisés relèvent d’un web herméneutique, donc d’une technologie mobilisant le calcul au profit de la confrontation des interprétations singulières et incalculables de ses utilisateurs 34.

Notons ici qu’en ce qui concerne la gouvernance de ce processus d’interprétation et d’évaluation, le fonctionnement de l’IGEC n’est pas fondamentalement différent de celui d’un atelier de capacitation. Les modélisations sont contributives, appuyées par des délibérations propres à l’IGEC, et toujours en lien – notamment via les forums – avec les rencontres délibératives de l’atelier de capacitation. A tel point que nous décrivons cette activité IGEC comme relevant d’un “méta-atelier de capacitation”.

La souplesse conférée par ce travail “en miroir” permet de conjuguer les évaluations délibératives de plusieurs activités de capacitation à un horizon temporel commun, celui de la cogestion territoriale. Et c’est à cet horizon commun mais selon des temporalités et des modalités spécifiques qu’un IGEC communiquera avec les pouvoirs publics, les acteurs privés et les habitants. Il s’agit de légitimer des politiques publiques et des stratégies d’investissement, de favoriser la responsabilité sociétale des entreprises et leur solvabilité, tout en inscrivant les habitants au cœur de cette démarche – donc notamment d’adapter le versement du revenu contributif aux besoins des ateliers de capacitation.

Conventions territoriales

Nous estimons que ce couplage entre le modèle d’atelier de capacitation et le modèle IGEC est nécessaire à une coordination des transformations des usages de chacun des acteurs et, à travers elle, à une coordination des investissements et engagements de responsabilité. Puisque d’un côté l’atelier de capacitation délibère pour qualifier l’effet des transformations locales envisagées collectivement sur les objectifs de cogestion des biens communs, et fait le lien entre ces objectifs et une comptabilité territoriale IGEC, cet atelier apporte aux habitants, aux pouvoirs publics, aux entreprises et aux investisseurs des savoirs utiles à la conception de leurs activités, de leurs politiques, de leurs offres, ou de leurs prêts et financements. Si bien que tous sont tout autant co-responsables des biens communs que “co-bénéficiaires” non seulement de l’usage de ces biens mais des savoirs développés en vue de leur préservation.

Le modèle d’économie de la contribution envisage alors la participation des acteurs du territoire à un atelier de capacitation selon des règles de gouvernance à établir localement, mais toujours sous condition, afin de refléter autant un engagement volontaire qu’une contrepartie des avantages fournis par le collectif de capacitation.

Les entreprises, associations et collectivités accèdent à l’atelier de capacitation sous condition de labellisation renouvelable au regard de leur contribution à la réalisation des objectifs définis et évalués en commun par cet atelier. Pour les entreprises s’ajoute la condition du versement d’une cotisation visant à aider le fonctionnement des ateliers de capacitation et de l’IGEC (animation, locaux, équipements, etc.), et l’obligation d’employer de façon intermittente certains habitants ayant participé à ces ateliers. Cette obligation est en réalité une opportunité pour les entreprises qui peuvent disposer des savoirs locaux dont ces habitants sont le relais à l’intérieur de leur organisation. Cette opportunité est d’ailleurs aussi ouverte aux collectivités et aux associations.

Le financement de cet emploi intermittent peut être vu comme une contribution directe à la dimension sociale du bien commun territorial, puisqu’il s’agit d’emploi. Mais aussi comme une contribution indirecte en ce que l’emploi intermittent est ce qui, dans notre modèle, permet aux habitants de “recharger” leur droit au revenu contributif destiné comme nous l’avons évoqué plus haut à aider ceux qui pourraient avoir du mal à libérer le temps nécessaire à s’impliquer dans un atelier de capacitation 35. Si l’accès à l’atelier de capacitation est ouvert librement à tous les habitants, le revenu contributif est ainsi conditionné par ce temps d’emploi qui correspond à un engagement des habitants qui en bénéficient à propager les savoirs développés dans cet atelier, à les mettre en pratique, donc à les valoriser.

Concernant le financement du revenu contributif, l’idée première serait qu’il soit le fait des pouvoirs publics susceptibles de le considérer non seulement comme une forme d’allocation de solidarité active, ou d’un investissement dans le développement de savoirs – c’est à dire dans l’intelligence collective qui favorise la coordination des activités locales dans un régime de cogestion des biens communs 36 -, mais aussi comme une incitation à la création d’emplois intermittents au sein d’un régime local de protection sociale d’un genre nouveau, négocié puis défini et encadré par des conventions collectives territoriales.

Les différents aspects organisationnels évoqués dans les paragraphes précédents reflètent des hypothèses génériques. Le principe même d’une économie de la contribution interdit que soit proposé un modèle rigide applicable à tout contexte socioéconomique et politique. Le rôle des conventions collectives territoriales est en cela fondamental. Ces conventions doivent être le résultat de délibérations régulières, à l’instar de celles qui instaurent les conventions collectives des différentes branches d’activités économiques 37.

Pour chaque territoire, elles auraient pour finalité de fixer un ensemble de règles spécifiques à l’attribution du revenu contributif (nombre d’heures en emploi intermittent nécessaire à recharger le droit à ce revenu, niveaux de revenu, condition d’amorçage du dispositif “emploi intermittent – revenu contributif” 38, etc.) ; à la labellisation autorisant les acteurs à participer aux ateliers de capacitation (construction de dispositifs d’information extra-financière particuliers à chaque type d’acteurs mais cohérents entre eux 39, modalités d’interprétation de ces informations par la comptabilité de l’IGEC territorial, etc.) ; à la labellisation des employeurs pouvant bénéficier d’emplois intermittents ; à la représentation des acteurs au sein de l’IGEC territorial ; etc.

Une conclusion partielle est que le modèle d’économie de la contribution n’est pas seulement tourné vers le mieux-vivre social et écologique local. Il permet de concevoir un dispositif intégré et co-construit d’intelligence économique territoriale. Et les investissements dans ce dispositif, sous leurs formes variées (participation aux activités pratiques et délibératives, cotisations, financement d’emplois intermittents, financements de revenus contributifs) sont les facettes complémentaires d’un co-investissement territorial dans la gestion des biens communs.

Commun de savoirs

Pour préciser le rapport de l’économie de la contribution à la notion de commun, revenons à l’approche d’Elinor Ostrom pour qui les communautés constituant des communs sont avant tout des communautés de savoir 40. Nous considérons que le dispositif constitué d’un réseau local d’ateliers de capacitation qui communiquent avec un IGEC territorial grâce à des outils numériques de type ContribuThèque, est une ressource que partagent les communautés de savoir de l’économie de la contribution. Ce partage s’effectue dans le cadre de règles de gouvernance bien spécifiques que nous venons d’évoquer. L’ensemble réunissant ces communautés, le dispositif-ressource qu’elles mobilisent, et les règles qui en déterminent les modalités d’accès, forme alors un commun.

Le commun sur lequel s’appuie l’économie de la contribution est l’opportunité de penser collectivement et démocratiquement l’articulation fonctionnelle entre l’économie publique, l’économie du don, l’économie marchande territoriale, et les entités locales directement articulées avec l’économie de marché globalisée. Il s’agit donc d’un commun qui confère au modèle d’économie de la contribution le caractère d’une économie générale, à l’interface des sphères précitées, lesquelles peuvent s’inscrire dans des communs plus usuels constitués par exemple autour de la gestion des ressources naturelles.

Ce commun spécifique à l’économie de la contribution peut alors à la fois être considéré comme un “commun de communs” – les rencontres délibératives en lien avec un IGEC territorial pourraient aboutir à la coordination de plusieurs démarches plus locales de cogestion de biens communs -, et comme un “commun au service des autres communs” car susceptible de leur apporter à la fois des savoirs spécifiques, des outils de délibération et de gouvernance, ainsi que des solutions d’investissement adaptées aux diverses formes de contribution des acteurs locaux.

Le modèle d’économie de la contribution, s’il était mis en œuvre à l’échelle d’un ou plusieurs territoires en réseau, offrirait aux acteurs de ces territoires l’opportunité de reprendre la maîtrise de leur économie par un enrichissement des régimes institutionnels permettant notamment d’accompagner la réorganisation des systèmes industriels afin de maîtriser leurs influences sur la société et sur les écosystèmes.

Territoire apprenant contributif

L’économie de la contribution est expérimentée dans le cadre d’un programme appelé Territoire apprenant contributif (TAC) qui fût impulsé en 2016 par Bernard Stiegler, alors directeur de l’IRI, à la demande de l’établissement public territorial (EPT) Plaine Commune 41, puis étendu au territoire de la Seine-Saint-Denis, et mené depuis par les équipes de l’IRI. Ce programme de 10 ans visait à préfigurer une loi d’expérimentation de l’économie de la contribution par le développement d’une méthode dite de “recherche contributive 42”. Elle est fondée sur une enquête de terrain destinée à identifier les savoirs existants et les activités émergentes sur le territoire, à mobiliser leurs responsables et d’autres acteurs (habitants, chercheurs, collectivités locales, associations, etc.) intéressées par ces activités. Il s’agit ensuite d’organiser et d’animer les ateliers de capacitation et les rencontres délibératives susceptibles de nourrir un IGEC.

Actuellement, les différentes composantes de cette méthode sont en construction, à partir du travail mené par l’IRI et les porteurs de projets sur le territoire de la Seine-Saint-Denis. Se dessinent ainsi des liens entre eux, donnant à voir de façon plus précise ce que pourrait être une déclinaison locale de l’économie de la contribution. Les ateliers de capacitation les plus avancés portent sur les thématiques de la santé 43, de l’urbanité numérique 44 et de l’agriculture urbaine 45. La ContribuThèque se constitue autour d’un portail d’aide à la délibération et à l’évaluation collective 46, d’une plateforme de veille contributive 47, et d’outils d’annotation 48. Le fonctionnement d’un IGEC est modélisé dans le cadre d’un groupe de travail hebdomadaire et de cycles de séminaires 49. Par ailleurs, les projets de recherche dans lesquels est impliqué l’IRI sont tous l’occasion d’enrichir l’un ou l’autre des aspects de la méthode 50.


(1) Centre de Recherche sur l’Innovation et les Stratégies Industrielles (ULCO) ; Institut de recherche et d’innovation.

(2) Institut de recherche et d’innovation.

(3) Stiegler, B. (2009). Pour une nouvelle critique de l’économie politique. Galilée. ; Béraud, P., & Cormerais, F. (2011). Économie de la contribution et innovation sociétale. Innovations, (1), 163-183. ; Morlat, C., Landau, O., Sentis, T., Cormerais, F., Alombert, A., Krzykawski, M. (2020). Économie contributive, processus territoriaux de capacitation et nouvelles modalités comptables. Dans Stiegler et al., dir, Bifurquer. Éditions Les Liens qui libèrent. Juin 2020

(4) L’Anthropocène est une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques.

(5) On parle de forçage anthropique pour désigner les perturbations d’origine humaine qui impactent l’équilibre du climat et l’organisation de la biosphère. Parmi les forçages anthropiques, on trouve notamment les émissions de gaz à effet de serre ; les émissions d’aérosols ; la déforestation et plus généralement la modification des surfaces végétales. L’économie de la contribution a ainsi vocation à avoir un effet “néguanthropique”, c’est-à-dire réduisant ces forçages.

(6) Cette « valeur pratique » est donc la valeur associée aux productions que permettent les savoirs. Elle doit être mise en au regard des traditionnelles valeur d’usage et d’échange dont elle se dissocie mais qu’elle permet d’articuler (cf. infra, partie « Analyse de la valeur »). Ce que permet la pratique d’un savoir vaut au-delà des productions valorisables dans l’échange, par exemple sur un marché, car le fait de pratiquer un savoir renouvelle ce savoir et produit de nouveaux savoirs partagés. En-cela, contrairement à la valeur associée à l’usage potentiel pouvant être fait d’une chose, valeur diminuant avec le temps d’utilisation entraînant la dégradation de cette chose, le savoir ne s’use pas quand il est pratiqué collectivement.

(7) En 2006, le Centre Pompidou, sous l’impulsion du philosophe Bernard Stiegler, a créé en son sein l’Institut de recherche et d’innovation pour anticiper, accompagner, et analyser les mutations des activités culturelles, scientifiques et économiques induites par les technologies numériques, et pour développer de nouveaux dispositifs critiques contributifs. https://www.iri.centrepompidou.fr

(8) Ostrom, E. (2010). Beyond markets and states: polycentric governance of complex economic systems. Transnational Corporations Review, 2(2), 1-12.

(9) Karl Marx, fin du cahier VI des Grundrisse (E.S., t. II, pp. 184-188), contenu qui sera repris dans la Section IV du Livre I du Capital.

(10) Gorz., A. (1997). Misère du présent, richesse du possible. Paris, Galilée.

(11) On appelle capitalisme cognitif (ou encore économie du savoir, économie de la connaissance, économie de l’immatériel) une phase de l’économie apparue dans les années 1990 et basée sur la production et l’accumulation de la connaissance. Voir sur ce sujet Boutang, Y. M. (2007). Le capitalisme cognitif. París: Ed. Amsterdam.

(12) Moulier-Boutang, Y. (2016). Pour un revenu d’existence de pollinisation contributive. Multitudes, (2), 25-38.

https://www.multitudes.net/pour-un-revenu-dexistence-de-pollinisation-contributive-finance-par-une-taxe-pollen/

(13) Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit. http://arsindustrialis.org

(14) En Grèce ancienne, le terme de pharmakon désigne à la fois le remède, le poison, et le bouc-émissaire. Tout objet technique est pharmacologique : il est à la fois poison et remède. Le pharmakon est à la fois ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin, au sens où il faut y faire attention : c’est une puissance curative dans la mesure et la démesure où c’est une puissance destructrice. Voir sur ce sujet http://arsindustrialis.org/pharmakon

(15) Telles que fonctionnement des communautés du logiciel libre, ainsi que des travaux de Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato sur les intermittents du spectacle. Voir sur ce sujet Corsani, A., & Lazzarato, M. (2008). Intermittents et précaires (No. halshs-00270167). HAL.

(18) Ainsi, l’économie de la contribution pourrait notamment être une tentative de réponse à Félix Guattari qui dénonce l’uniformisation des individus, de leurs désirs et de leur manière d’être, et qui accuse les médias de masse d’être à la cause de cela. Voir sur ce sujet : Guattari, F. (1989). Les trois écologies (Vol. 989). Paris, Galilée.

(19) Cette différence a notamment été précisée à l’occasion d’échanges informels associant divers membres de groupes de réflexion avec lesquels collabore l’IRI, tels que l’Association des Amis de la Génération Thunberg – Ars Industrialis, Internation ou Pharmakon. Qu’ils en soient ici remerciés.

(20)Cette distinction n’est cependant pas à concevoir comme une opposition : la connaissance peut et doit contribuer à l’enrichissement de savoirs, à condition pour cela qu’elle puisse être accueillie dans un processus collectif au sein duquel celle-ci pourra être mobilisée, appropriée en vue d’être transformée, cette dynamique de transformation relevant précisément du développement des savoirs.

(21) Le savoir est ce qui résiste à toute forme d’extériorisation : il n’existe qu’en acte, c’est-à-dire tel qu’en tant qu’il est pratiqué par des personnes au cours d’activités qui leurs permettent de s’épanouir. La connaissance renvoie en revanche à un ensemble de domaines, champs, objets, qui peuvent être séparés des personnes qui y ont recours, en étant inscrits par exemple dans des supports tels que des livres. C’est en ce sens que l’on peut parler d’accès à la connaissance ou d’interprétation de celle-ci.

(22) En référence à la notion de capabilités proposée par Armartya Sen, mais qui relève d’une approche centrée sur l’individu tandis que le modèle d’économie de la contribution élargit cette notion à une dimension plus sociale – c’est à dire aux interactions au sein d’un groupe.

(23) Évaluée par l’OCDE pour la France à une disparition de 16,4% des emplois dans les 15 à 20 prochaines années et à une modification radicale pour 32,8%. Voir OCDE (2019). Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019, L’avenir du travail. https://www.oecd-ilibrary.org/employment/perspectives-de-l-emploi-de-l-ocde-2019_b7e9e205-fr

(24) De l’apparition des caisses automatiques en supermarchés, aux fab-labs dotés d’imprimantes 3D, la transformation numérique du système industriel est associée de manière croissante à une transformation du mode de consommation invitant le client à réaliser une partie des tâches effectuées auparavant par le producteur.

(25) Les plateformes dites “collaboratives” sont le plus souvent de simples supports de mise en relation entre producteurs et consommateurs de services qu’ils coproduisent eux-mêmes (exemple du partage de véhicule) tout en fournissant une rente et des données au propriétaires de ces plateformes.

(26) La notion de soutenabilité forte fait référence à deux approches du concept de développement durable. Une approche forte de la soutenabilité du développement implique de ne pas seulement considérer les impacts sociaux et écologiques de l’économie de façon relative à au niveau de production d’une activité, mais de façon absolue (si une activité triple sa production en diminuant seulement de moitié ses impacts, la résultante est en effet une augmentation d’impacts). Une autre condition de soutenabilité forte est de ne pas considérer qu’un mieux disant économique peut légitimer ou compenser une régression sociale ou un impact écologique.

(27) Ce processus nécessite une organisation qui donne la possibilité à chaque membre de pouvoir contribuer à l’élaboration de ces savoirs, par la capacité à identifier et reconnaître les connaissances que chacun mobilise, quand bien même les sources de cette connaissance sont d’ordre expérientiel et ne correspondent pas à celles classiquement admises.

(28) Ces projets sont envisagés comme des moyens de résolution de problèmes et conçus en articulant des phases d’analyse et de synthèse sous forme de scénarisation. Voir sur ce sujet la page 137 de Simondon, G. (2018). La résolution des problèmes. Presses Universitaires de France.

(29) A ce titre, le travail collectif de délibération est partie intégrante du processus de capacitation : il fait naître de nouveaux savoirs non plus relatifs à une problématique de terrain particulière, mais à la façon de penser l’intégration des différents niveaux et enjeux de la cogestion territoriale.

(30) Morlat, C. (2020). Système productif soutenable, de l’écodéveloppement au web contributif. ISTE éditions.

(31) Combien est-ce qu’il en coûte réellement de s’engager dans une cogestion territoriale ? Quelle temporalité pour penser l’investissement ? Quels intérêts réciproques et points de monétisation indirects ? etc.

(32) Stolowy, H., Ding, Y., & Langlois, G. (2017). Comptabilité et analyse financière : une perspective globale. De Boeck Superieur.

(33) On distingue à l’IRI trois types de catégories matérialisées par des “tags” : 1) les catégories thématiques spécifiques (ex : alimentation, logement), 2) les catégories relatives à une action ou action tags (ex : à envoyer à, à discuter, …), 3) les méta-catégories relatives à un jugement sur un contenu ou une proposition (ex : surlignage, trouble, commentaire, mots-clés, …),

(34) Puig, V. (2017). Web herméneutique et production de savoir : l’approche des Digital Studies. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, (47-2), 307-314.

(35) Le revenu contributif est ainsi destiné à aider les personnes hors de l’emploi, ce qui peut aussi être entendu de façon large, comme correspondant par exemple à la situation d’étudiants – une réflexion sur ce point est menée actuellement par l’Association des Amis de la Génération Thunberg -, mais potentiellement aussi, et selon des conditions à définir localement, à la situation des salariés de certaines associations, PME ou entreprises d’insertion qui souhaiteraient s’impliquer dans les ateliers de capacitation hors de leur temps d’emploi.

(36) Une des fonctions majeures de la comptabilité territoriale IGEC serait alors de permettre aux pouvoirs publics d’interpréter depuis un niveau plus macro les influences des transformations locales opérées grâce à l’atelier de capacitation, afin de susciter leur envie d’investir dans le développement de cette intelligence collective.

(37) Ces délibérations réunissent principalement la puissance publique, les représentants syndicaux – salariés et patronaux -, les associations de salariés, les acteurs de l’ESS, les associations éducatives, etc.

(38) Il peut en effet être établi selon les cas qu’un habitant commence par une phase de capacitation pour ensuite valoriser les savoirs acquis lors d’une phase d’emploi intermittent, ou bien l’inverse.

(39) Nous utilisons pour cela particulièrement le modèle comptable CARE-TDL, voir Rambaud, A. (2015). Le modèle comptable CARE/TDL : une brève introduction (No. hal-01253482)

(40) Hess, C. (2015). Communs de la connaissance, communs globaux et connaissance des communs. Dans Benjamin Coriat et al., Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire, Éditions Les Liens qui libèrent.

(41) 430000 habitants dans la banlieue nord de Paris, département de Seine-Saint-Denis.

(42) Dans le cadre d’une recherche contributive, chercheurs académiques, habitants et autres acteurs du territoire se côtoient dans le cadre des ateliers de capacitation au sein desquels ils développent ensemble des savoirs, tant et si bien que les habitants et acteurs du territoire deviennent eux aussi des chercheurs. Voir sur ce sujet le chapitre 5 Rapport Jules-Ferry 3.0 du Conseil National du Numérique : Pène, S., Abiteboul, S., Balagué, C., Blecher, L., Bloch-Pujo, N., Briand, M., … & Peugeot, V. (2014). Jules Ferry 3.0, Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique ; et plus récemment le chapitre 4 de Stiegler, B., et al. (2020). Bifurquer, Les Liens qui Libèrent.

(43) La “clinique contributive” est un atelier de capacitation constitué avec le centre de PMI (centre de protection maternelle et infantile) Pierre Sémard, des chercheurs et des parents. Fonctionnant depuis novembre 2018, il développe des savoirs pour contrer l’usage non maîtrisé des écrans (tablettes, smartphones, etc.) dont la toxicité est grande pour les nourrissons et les jeunes enfants.

(44) Les ateliers de capacitation UNEJ (Urbanités Numériques en Jeux) ont été initiés par l’IRI avec le Rectorat de l’Académie de Créteil. Ils réunissent de nombreux partenaires dont le cabinet O’zone Architectures, la Solidéo, le groupe Caisse des Dépôts, le Département de la Seine-Saint-Denis et le Comité Olympique du 93 et accompagnent des collégiens et lycéens du département ainsi que leurs professeurs pour qu’ils imaginent ensemble, à l’aide d’outils numériques (le jeu Minetest), l’avenir du quartier d’habitation issu de la reconversion du futur village olympique.

(45) Un partenariat avec l’association Halage, qui dans le cadre de parcours d’insertion met en œuvre des projets d’horticulture urbaine, de “recyclage” de terres issues des projets d’aménagement, et de médiation culturelle autour des problématiques écologiques, permet de développer des savoirs relatifs à une économie circulaire de la terre, et de concevoir comment un IGEC territorial pourrait rendre compte des bienfaits de cette économie pour le territoire.

(46) Le portail contributif ePLANETe proposé par l’association ePLANETe.Blue offre la possibilité de construire une représentation partagée des expressions subjectives de jugements portés par différents groupes d’acteurs contributeurs à ou concernés par un projet de territoire ; de disposer à la fois d’une représentation synthétique de l’ensemble des points de vue et d’une « plongée » dans le détail des points de vue de chacun ; de co-construire un référentiel commun d’évaluation normative (et un algorithme associé) ; et de structurer collectivement un système d’information ad-hoc organisé autour d’un répertoire d’indicateurs produits par les acteurs du territoire.

(47) La plateforme de veille Curebot proposé par EspritsCollaboratifs permet de mieux gérer l’information et de collaborer facilement autour de sujets d’intérêt partagés. Il s’agit d’un outil conçu un usage en mobilité et de façon à rendre veille et collaboration indissociable : à partir de les sources internes et externes à une organisation, les acteurs peuvent mutualiser la collecte, la capitalisation et la diffusion des savoirs.

(49) Séminaire sur l’investissement à l’ère de l’Anthropocène co-organisé avec la Caisse des Dépots

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